vendredi 11 décembre 2009

Pratiques émancipatrices, actualités de Paulo Freire

Bonjour à tous,

Notre rencontre autour du livre « Pratiques émancipatrices – Actualités de Paulo Freire », le 22 juin à l’Unesco, avait donné lieu à un échange d’idées très riche et beaucoup d’entre vous avaient manifesté leur intérêt que soit donné un suivi à cet échange, de continuer à creuser ensemble certains aspects, ... Nous sommes nous mêmes persuadés de l’intérêt que ce travail collectif de construction de connaissances, à partir de et dans les pratiques, représente pour tous ceux qui travaillent au quotidien face à des défis sans cesse renouvelés dans un contexte de plus en plus difficile. Mais nous sentons que notre démarche se heurte aujourd’hui à un problème: la moyenne d’âge des participants à la réunion de l’Unesco était largement supérieure à celle des actifs dans les secteurs qui nous occupent. L’intégration de plus jeunes est nécessaire, un passage de relai doit être opéré afin que la construction collective de connaissances se face aussi avec et pour ceux qui en ont aujourd’hui le plus besoin et connaissent le mieux les réalités locales.

Nous travaillons en ce moment à réunir les textes présentés lors de la réunion de juin et souhaitons vous poser à ce sujet quelques questions :

  1. Êtes-vous personnellement intéressé à recevoir les textes de la réunion du 22 juin ?
  2. Pensez-vous que les thèmes du livre et les connaissances qui y sont reprises, construites avec des acteurs d’actions émancipatrices, intéressent les plus jeunes ?
  3. Pouvez-vous nous communiquer les adresses mails de « plus jeunes » suffisamment intéressés par ces questions pour consacrer du temps à participer avec nous à ce processus collectif de construction de connaissances sur les pratiques émancipatrices auxquelles ils sont liés ?
  4. Quelles observations et suggestions souhaitez-vous nous communiquer quant à la problématique soulevée antérieurement et à un possible suivi du processus?

D’avance, nous vous remercions de l’information que vous voudrez bien nous transmettre et qui nous guidera quant à la suite à donner à notre démarche. Nous vous tiendrons au courant des résultats de cette mini enquête.

Veuillez trouver ci-après un compte-rendu de la réunion par M F Freynet,

Bien chaleureusement,

Francoise, Michel, Henryane, Nicole, Claire, Paul et Maria Luiza


      PRESENTATION DU LIVRE "PRATIQUES EMANCIPATRICES. ACTUALITES DE PAULO FREIRE"

      Françoise Garibay, Michel Séguier (cordination)

      Le 22 juin dernier, s'est tenue à l'Unesco à Paris, une réunion présentant un ouvrage collectif à partir de la pensée de P Freire. Michel Séguier a coordonné l'ouvrage et a présenté, au cours de la réunion, le travail qu'il réalise dans la région du Kivu, en RD du Congo. Parmi les co-auteurs, on trouve notamment Claire Héber-Suffrin ; un chapitre présente le réseau d'échanges réciproques de savoirs d'Orléans.

      Le MDSL était présent dès le début du projet. En effet, au décès de P Freire en 1997, Marie-Renée Bassinet-Bourget a enclenché une démarche avec C. Heber-Suffrin et Henryane de Chaponay pour rassembler les pensées et les pratiques qu'il avait inspirées. Elles ont suscité la création d'un réseau de praticiens, chercheurs et animateurs de projets, dans le domaine du développement social et de l'éducation qui tous avaient côtoyé la pensée de P Freire. Le groupe a adopté le nom de Cercle des pédagogies émancipatrices.

      Le premier chapitre du livre est une introduction au parcours de P. Freire (1921-1997), à son discours et à ses méthodes. Issu de la petite classe moyenne au Brésil, obligé à la mort de son père en 1934, de travailler pour financer ses études secondaires, il s'inscrit à 22 ans à la Faculté de Droit et s'investit dans un mouvement syndicaliste d'éducation d'adultes. Cette expérience l'amène à s'intéresser à l'alphabétisation des ouvriers, des paysans, des pêcheurs de l'état de Pernambuco. Il observe que le contexte de l'éducation populaire est autant politique que social ; aucune pédagogie n'est neutre. "Elle est soit une arme de domestication voire de déshumanisation, soit un outil d'émancipation".

      Il appelle à une nouvelle démocratisation de l'école et "au dépassement de la conscience magique et fataliste par la construction d'une conscience critique, sans laquelle aucune transformation sociale n'est possible". Il devient coordinateur d'un programme d'alphabétisation d'adultes dans la région du Nordeste puis directeur du service d'éducation extra-muros de l'Université, puis chargé d'un plan national d'alphabétisation pour deux millions de personnes. A cette époque, au Brésil, on compte 4 millions d'enfants non scolarisés et 16 millions d'analphabètes âgés de 14 ans ou plus. L'expérience est interrompue par un coup d'état militaire en 1964. P Freire se réfugie alors en Bolivie puis au Chili, où il précise sa méthode d'alphabétisation par "l'identification des mots générateurs, le décodage syllabique et thématique et la construction d'une compréhension critique visant l'action et les transformations sociales. Dans un tel apprentissage, les apprenants sont censés devenirs auteurs de leur lecture du monde, afin de devenir acteurs-écrivains de leur monde". Il pose le principe d'une relation dialogique, l'importance d'une écoute sensible de l'autre car "personne n'est oralement illettré".

      Il travaille ensuite aux Etats-Unis où il écrit "Pédagogie des opprimés" en 1970 et à Genève comme consultant dans le département d'éducation du Conseil oécuménique des Eglises, ce qui l'amène notamment à travailler en Guinée Bissau. En 1971, il participe à la création de l'INODEP à Paris. Sa pratique commence à incorporer de nouvelles approches méthodologiques : l'enquête conscientisante, la recherche-action, la critique institutionnelle, la créativité collective.

      Il revient au Brésil en 1980.

      Notions-clés

      "L'argument fondamental de la pédagogie de Freire est que l'oppression n'est ni un phénomène naturel, ni un état inévitable. Toute oppression est apprise et cela, même au sein des institutions éducatives qui sont censées la combattre… L'éducateur atteint de "la maladie de la narration"… se donne la responsabilité de remplir ses élèves, transformés en bouteilles vides, avec le contenu de sa narration. L'oppression ainsi apprise résulte d'une hiérarchisation des savoirs par laquelle se justifient à la fois la supériorité et la dominance de ceux qui savent et l'oppression de ceux qui ne savent pas. Elle est le résultat d'une éducation bancaire "

      "Plus les élèves s'emploient à archiver les dépôts qui leur sont remis, moins ils développent en eux la conscience critique qui permettrait leur insertion dans le monde comme agents de transformation, comme sujets". A la question "comment changer cette situation", P Freire répond "Il faut transformer le système d'éducation bancaire en pédagogie dialogique. Seul le dialogue est capable de briser la culture du silence dans laquelle les opprimés dépérissent".

      "Cet apprentissage du dialogue par le dialogue, Freire l'appelle une éducation de problématisation, autrement dit la construction d'une relation avec le monde, avec les autres et avec soi-même qui questionne, qui "construit" en problème et qui, ainsi, rejette tout fatalisme, toute impuissance, toute oppression qui nient que l'apprenant puisse être l'auteur et l'acteur de sa vie".

      "L'homme remplit sa vocation existentielle quand, conscient de toutes ses situations limites et de son incomplétude, il se situe dans le monde en tant qu'acteur et auteur de sa vie. En étant l'écrivant de sa vie, c'est lui qui donne sens à son existence".

      Questionnements nés de la confrontation avec ces concepts.

      Les auteurs se sont interrogés sur le sens à donner à ces concepts et sur la manière de les mettre en œuvre. Ils insistent sur la dimension à la fois personnelle et collective du processus d'émancipation. "Si la dimension sociale n'est pas construite collectivement, il y aura peut-être appropriation mais pas émancipation. Les prises de conscience individuelles peuvent dériver en défense d'intérêts particuliers, corporatistes ou communautaristes. De même, le seul travail collectif qui ne reconnaitrait pas l'importance de la personne peut dériver vers le totalitarisme. Comment concrètement, produire un "vivre-ensemble" et non un "traitement social" des problèmes sociaux ? La libération ne peut être ni une auto-libération (personne ne se libère tout seul) ni une libération de certains hommes réalisée par d'autres.

      Les termes de participation et de transformations sociales sont également interrogés. Comment la participation permet-elle de décider de sa propre vie et de faire ses choix politiques pour transformer sa vie ? Comment la maîtrise d'un "pouvoir agir" peut-elle viser, permettre et construire des transformations sociales émancipatrices?"

      Dans la pédagogie co-intentionnelle," les éducateurs et les éduqués se rencontrent dans une tâche dans laquelle les deux sont sujets, agissant non seulement pour déchiffrer cette réalité et la connaître avec un esprit critique, mais aussi pour la recréer."

      On observe différents niveaux de participation :

      symbolique où les participants sont seulement associés au projet,

      avec des responsabilités au sein de projets dont les objectifs ont été définis ailleurs, par d'autres, en tant qu'interlocuteur et acteur à tous les niveaux du projet ; on parle alors d'auto-détermination et de partenariat.

      La participation exige une analyse critique de la société. "C'est en écrivant ou décrivant le monde à partir de nos mots, en nommant les situations d'oppression et d'exclusion qui nous déshumanisent, que nous commençons à transformer la société". Mais la participation active ne se décrète pas. Commen , en articulant théorie et pratique, concevoir et réaliser des transformations sociales émancipatrices ? Les auteurs répondent :

      par la reconnaissance et la valorisation des savoirs alternatifs des gens opprimés,

      par une relation dialogique qui implique les deux parties éducateur-apprenant dans la transformation de la réalité,

      en travaillant à une amélioration réelle et durable des conditions de vie, conquise par la population elle-même.

      Le défi pédagogique consiste à construire la participation comme une reprise en main de la maîtrise personnelle et collective de nos vies.

      La deuxième partie du livre s'appuie sur deux séminaires, à Recife en 2002 et à Paris en 2003, accompagnés d'un important travail de pilotage, d'analyse et de cartographie d'expériences, réalisées tant au Brésil, au Mexique qu'au Canada ou en France et en Belgique. Ces pratiques à visée émancipatrice sont centrées sur :

      capacitation et développement,

      pédagogies émancipatrices et action culturelle

      participation citoyenne et démocratie.

      Les expériences analysées pour la France sont le réseau d'échanges réciproques de savoirs d'Orléans et le réseau santé qu'il a suscité, une recherche action-formation avec ATD quart-monde et Advocacy, soutien d'accès aux droits et espace convivial en santé mentale.

      La troisième partie porte sur les enseignements tirés de ces expériences, conformément au processus d'action-réflexion-action (praxis) au cœur de la méthode. Les thèmes approfondis concernent l'éducation émancipatrice, la réciprocité formatrice, la capacitation (analyse du terme au regard de la notion d'empowerment), la recherche-action. L'analyse des stratégies utilisées, des modes d'apprentissage, la présentation des outils méthodologiques employés complètent cette présentation.

      C'est un travail très complet qui permet d'approfondir les apports de P Freire, d'analyser leur mise en œuvre dans des contextes très divers, de repérer les méthodes utilisées et leurs résultats "dans les chantiers ardus, mais passionnants et indispensables, de la capacitation, des transformations sociales et de l'émancipation".


      Compte-rendu M F Freynet,

      Octobre 2009-10-13


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